Contenu Menu Aide et Accessibilité
Érigée après l’achèvement des portails qui la supportent, la galerie des Rois de Notre-Dame de Paris est une double innovation, promise à un rapide succès dans les projets de façades d’églises diocésaines du royaume et en dehors, notamment en terre d’Empire. D’une part, elle transforme la conception de la façade en ajoutant une grande barre horizontale qui vient rompre les verticales structurantes de la façade. D’autre part, elle vient placer entre portails et rose une théorie royale dans laquelle l’époque moderne, à commencer par dom Mabillon et Montfaucon, a vu une représentation de la généalogie des rois de France, ce qui leur fut fatal en 1793. On pense aujourd’hui qu’il faut plus probablement y voir les rois de Juda.
À vrai dire, les niveaux de lecture de cette galerie étaient probablement multiples, comme souvent pour les images du xiiie siècle. Nous pensons pouvoir en distinguer au moins trois. La galerie comprenait vingt-huit figures, réparties irrégulièrement : une figure au contrefort nord, huit le long de la tour nord, une sur le contrefort séparant la tour nord de la partie centrale de la façade, neuf sur la partie centrale, une sur le contrefort la séparant de la tour méridionale, sept sur cette tour et une sur le contrefort méridional. Cette différence s’explique par une variation dans les dimensions des tours au niveau de la galerie : alors que 10,83 m séparent les contreforts du côté septentrional, il n’y a que 9,84 m du côté méridional1, différence que l’on ne note pas à l’œil nu en raison de l’effet de perspective mais qui explique cette légère différence, la largeur des niches, en revanche, restant globalement stable, entre 80 et 88 cm.
Mais pourquoi vingt-huit rois ? Il semble impossible d’arriver à ce chiffre d’une quelconque façon si l’on considère la généalogie des rois de France jusqu’à Philippe Auguste (le décompte des Mérovingiens, évidemment complexe, laisse plusieurs solutions possibles). Mais le chiffre n’est guère plus exact pour les rois de Juda. Ces derniers sont au nombre de vingt, qu’on peut porter à vingt-trois si on leur ajoute David et Salomon, voire Saül. Deux observations doivent être faites. D’une part, le dénombrement n’est pas une science exacte dans l’art médiéval, notamment au cours des xiie et xiiie siècles, et les représentations où l’on voit dix ou quatorze apôtres, vingt-deux ou vingt-six vieillards de l’Apocalypse, etc., ne sont pas rares. D’autre part, l’une des généalogies de Jésus données par les Évangiles, celle de Matthieu, recense vingt-sept noms2 :
5 Iesse autem genuit David regem
6 David autem rex genuit Salomonem ex ea quae fuit Uriae
7 Salomon autem genuit Roboam Roboam autem genuit Abiam Abia autem genuit Asa
8 Asa autem genuit Iosaphat Iosaphat autem genuit Ioram Ioram autem genuit Oziam
9 Ozias autem genuit Ioatham Ioatham autem genuit Achaz Achaz autem genuit
Ezechiam
10 Ezechias autem genuit Manassen Manasses autem genuit Amon Amon autem genuit
Iosiam
11 Iosias autem genuit Iechoniam et fratres eius in transmigratione Babylonis
12 et post transmigrationem Babylonis Iechonias genuit Salathihel Salathihel autem
genuit Zorobabel
13 Zorobabel autem genuit Abiud Abiud autem genuit Eliachim Eliachim autem genuit
Azor
14 Azor autem genuit Saddoc Saddoc autem genuit Achim Achim autem genuit Eliud
15 Eliud autem genuit Eleazar Eleazar autem genuit Matthan Matthan autem genuit
Iacob
16 Iacob autem genuit Ioseph3.
Notons, enfin, que le seul personnage identifiable, David (debout sur un lion), se trouvait, à en croire la gravure réalisée d’après un dessin d’Antier, dans la quatorzième niche à partir du flanc septentrional, soit dans l’une des deux niches centrales. Il est impossible de se montrer plus précis, puisque l’on ne peut identifier avec certitude le personnage situé à senestre, qui pourrait être son prédécesseur Saül, son successeur Salomon ou son père Jessé (voire un tout autre personnage). On peut cependant proposer un sens de lecture centripète tel qu’on le trouve sur nombre d’autres œuvres médiévales (par exemple, sur le retable de Saint-Germer-de-Fly).
Sur le plan stylistique, la découverte de 1977 a permis de faire une constatation qui parut alors particulièrement surprenante. Parce qu’elle était innovante sur le plan architectural, la galerie des rois avait toujours été considérée par les historiens de l’art comme devant marquer un renouveau fondamental dans l’histoire de la sculpture du xiiie siècle et tout particulièrement dans celle de l’art parisien. Or, à l’examen, il en va tout autrement. Le sculpteur a pris soin d’individualiser toutes les têtes, du moins à en juger par les vingt et une (sur vingt-huit) qui sont parvenues jusqu’à nous. La longueur de la barbe, absente sur la tête no 7, varie du poil ras (tête no 9) à une barbe longue, volumineuse et recherchée (tête no 14). Les yeux peuvent être larges ou étroits, les fronts et les tempes lisses ou légèrement ridés, autant de variations qui distinguent chaque tête de sa voisine, parfois de façon d’autant plus subtile que la distance ne devait guère permettre d’en juger. Dans d’autres domaines en revanche, le traitement des drapés, travaillés par grandes masses et non dans le détail, est davantage l’indice de la prise en compte de cette distance que d’un moindre soin apporté aux corps4. Il n’en reste pas moins que, sur le plan de l’approche des volumes comme sur celui de l’équilibre des visages, le sculpteur de la galerie des Rois reste très marqué par l’esprit de la décennie 1210, notamment, semble-t-il, par celui du portail nord de la même façade. Qu’il suffise, par exemple, de comparer l’extérieur du bandeau porté par l’ange du portail du Couronnement au décor de la partie basse du bandeau de la tête no 6 ou les yeux de ce même ange avec ceux de la tête no 12, et l’on se rendra compte de la fidélité dont témoigna l’artiste de la galerie des Rois aux sculptures antérieures de la façade occidentale, ce qui interdit, à notre sens, de postuler un écart de plus d’une dizaine d’années entre les deux chantiers.
Têtes ; Parties hautes du corps ; Parties médianes du corps ; Éléments de drapé ; Parties basses du corps
Tête de roi de Juda no 20 (David)
1. Bernard Fonquernie, « Observations faites sur la galerie des rois au cours de la campagne de travaux 1998-1999 », Bulletin monumental, 1570 (IV):p. 347-352, 1999, p. 352.
2. Mt I, 5-16.
3. D’après la traduction de Louis
Segond :
« 6 […] Isaï engendra David. Le roi David engendra Salomon de la femme
d’Urie ;
7 Salomon engendra Roboam ; Roboam engendra Abia ; Abia engendra Asa ;
8 Asa engendra Josaphat ; Josaphat engendra Joram ; Joram engendra Ozias ;
9 Ozias engendra Joatham ; Joatham engendra Achaz ; Achaz engendra Ézéchias ;
10 Ézéchias engendra Manassé ; Manassé engendra Amon ; Amon engendra Josias ;
11 Josias engendra Jéchonias et ses frères, au temps de la déportation à Babylone.
12 Après la déportation à Babylone, Jéchonias engendra Salathiel ; Salathiel engendra
Zorobabel ;
13 Zorobabel engendra Abiud ; Abiud engendra Éliakim ; Éliakim engendra Azor ;
14 Azor engendra Sadok ; Sadok engendra Achim ; Achim engendra Éliud ;
15 Éliud engendra Éléazar ; Éléazar engendra Matthan ; Matthan engendra Jacob ;
16 Jacob engendra Joseph […] »
4. Contrairement, donc, à ce qu’affirment Alain Erlande-Brandenburg et Dominique Thibaudat, Les Sculptures de Notre-Dame de Paris au musée de Cluny, Paris, 1982, p. 48.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016