Contenu Menu Aide et Accessibilité
Au cours des années 1970, deux événements majeurs ont profondément bouleversé notre connaissance du portail Sainte-Anne, et, en conséquence, la chronologie de la première sculpture gothique. Il s’agit tout d’abord de la publication en 1970 de l’étude de Jacques Thirion1 à l’occasion d’une campagne de restauration. Jusqu’alors, on considérait ce portail comme une œuvre tardive, lancée par Maurice de Sully en même temps que la reconstruction de la cathédrale. Dans son article fondateur, Jacques Thirion montre que l’on est en fait face à une œuvre prévue et exécutée pour la cathédrale antérieure, où elle avait effectivement été installée avant d’être remontée dans la façade du nouvel édifice vers 1210. Cette hypothèse fut confirmée en 1977 par la découverte de très nombreux fragments de la façade occidentale lors des fouilles de l’hôtel Moreau, siège de la Banque française du commerce extérieur2. Parmi ceux-ci, on put identifier le corps du Saint Paul situé à l’ébrasement sud du portail Sainte-Anne et constater qu’il avait été retaillé pour faciliter son remontage. Cette découverte permit de mieux appréhender le décor sculpté de la façade parisienne. Ainsi fut-il possible d’assigner une date au portail Sainte-Anne, qui apparaît comme une étape entre la façade occidentale de Saint-Denis et le portail royal de Chartres, situé entre 1145 et 11553.
Plus encore, peut-être, que pour toute autre partie de la façade, l’histoire du portail apparaît mouvementée. Les statues, qui, comme souvent pour les statues des ébrasements et des galeries, passaient pour représenter la généalogie des rois de France et non celle du Christ, furent gravées peu avant 1725 pour les Monuments de Montfaucon, ce qui nous permet aujourd’hui encore d’en identifier les fragments4.
Après les découvertes de la rue de la Santé et la dépose du trumeau, en 1938, le Metropolitan Museum of New York se porta acquéreur d’une tête, rapidement identifiée comme celle du roi David de l’ébrasement sud5. Tels étaient les éléments connus du portail Sainte-Anne, sans oublier bien sûr le tympan encore en place en 1977. Les découvertes de 1977 permirent d’accroître de vingt-huit pièces le total des fragments de ce portail conservés au musée. Tous proviennent des statues-colonnes ou de leurs consoles, et même si pour neuf d’entre eux la provenance exacte n’a pu être identifiée, il est désormais possible d’évoquer, au moins partiellement, chacune des huit statues-colonnes du portail.
Ainsi peut-on juger du style du sculpteur des statues-colonnes du portail Sainte-Anne. Au vu du David du Metropolitan comme du fragment du crâne de la reine no 3 (Cl. 22893), il travaille les cheveux en mèches regroupées en masses compactes, allégées par des ciselures ondulées. Cette technique combinée au travail du visage du David a permis à Jacques Thirion de l’identifier avec le sculpteur des rois mages du linteau6, et nous incite à nous interroger sur l’éventuel engagement de ce dernier à la façade occidentale de Saint-Denis. Le traitement du drapé est d’une qualité absolument remarquable. Les plis, fins et acérés, tombent avec souplesse ou s’enroulent avec vigueur, montrant toute la maîtrise et la subtilité du travail du sculpteur, tout en fluidité. Jacques Thirion a également mis en relief un certain nombre de rapprochements possibles avec les sculptures de Saint-Germain-des-Prés, notamment le gisant de Childebert. Mais ces rapprochements, bien que pertinents, ne permettent cependant pas d’attribuer les deux ensembles à un même atelier. La tête du David est trop différente de celle du gisant de Childebert : celui-ci présente des drapés épais, travaillés en larges plis, que l’on ne peut rapprocher de l’aspect tranchant des plis du portail Sainte-Anne. Les deux ateliers partagent cependant suffisamment de points communs pour que l’on puisse les situer dans une même mouvance artistique et placer la réalisation du portail Sainte-Anne entre 1140 et 1150. De plus, les consoles supportant le linteau inférieur semblent, par leur décor de rinceaux, délibérément archaïsantes. Elles suivent de façon très rapprochée le répertoire formel en vigueur, près d’un quart de siècle plus tôt, dans le chœur de Sainte-Geneviève et à la chapelle Saint-Aignan7. Cette parenté étroite et délibérée invite à reposer la question, évoquée par Jacques Thirion, du rôle d’Étienne de Garlande, fondateur de Saint-Aignan, archidiacre de Notre-Dame et doyen de Sainte-Geneviève, entre autres. Un obituaire précise également qu’il a « dignement restauré l’église Notre-Dame8 ». Si tel était le cas, le programme du portail Sainte-Anne, ou au moins une partie de celui-ci puisqu’il semble être issu du remontage d’éléments provenant de plusieurs ensembles, devrait avoir été déterminé avant la mort d’Étienne de Garlande, entre 1146 et 1148.
L’intégration de ces éléments dans la nouvelle façade au début du xiiie siècle nécessita quelques modifications et plusieurs ajouts. Le linteau inférieur, encore en place et consacré à la vie de la Vierge, est le plus évident ; les soubassements, aujourd’hui au musée (Cl. 18642 a et Cl. 18642 b), ont moins retenu l’attention mais se montrent néanmoins d’intéressants exemples de la sculpture décorative du début du xiiie siècle.
Roi de l'Ancien Testament n° 2
Reine de l'Ancien Testament n° 3
Roi de l'Ancien Testament n° 4
Reine de l'Ancien Testament n° 7
Roi de l'Ancien Testament n° 8
1. Jacques Thirion, « Les plus anciennes sculptures de Notre-Dame de Paris », Comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1970, p. 85-112.
2. Sur ces découvertes, de nombreux textes furent
publiés à l’époque par Alain Erlande-Brandenburg, Michel Fleury et François Giscard
d’Estaing :
Alain Erlande-Brandenburg, « L’extraordinaire génie des sculpteurs parisiens : un ouvrage pour l’homme et pour Dieu », Archeologia, 108, 1977, p. 36-51 ;
Michel Fleury, « Les sculptures de Notre-Dame de Paris découvertes », Bulletin monumental, t. 135 (II), 1977, p. 160-161 ;
Michel Fleury, « Comment la façade de Notre-Dame retrouve une partie de ses sculptures », Archeologia, 108, 1977, p. 20-35 ;
Michel Fleury, « Rapport… sur la découverte de sculptures provenant de Notre-Dame de Paris au siège de la Banque française du commerce extérieur, 18 rue de la Chaussée d’Antin (9e) », Commission du Vieux-Paris, procès verbal de la séance du mardi 3 mai 1977, 1977, p. 4-19 ;
Michel Fleury, « Rapport… sur les fouilles archéologiques en cours : identification de trois fragments de statues-colonnes provenant du portail Sainte-Anne de Notre-Dame de Paris, provenant du 18, rue de la Chaussée d’Antin (9e) », Commission du Vieux-Paris, procès verbal de la séance du mardi 8 novembre 1977, 1977 ;
Alain Erlande-Brandenburg, Michel Fleury et François Giscard d’Estaing, Les Rois retrouvés, Paris, 1977 ;
Michel Fleury, « Les sculptures de Notre-Dame de Paris découvertes en 1977 et 1978 », Cahiers de la Rotonde, 1, 1978, p. 50-52.
En outre, deux
expositions eurent lieu, l’une à Cleveland et à New York en 1979, l’autre à Léningrad et à
Moscou, en 1980. Enfin, Alain Erlande-Brandenburg et Dominique Thibaudat réalisèrent à cette
occasion le catalogue des sculptures de Notre-Dame conservées au musée (Alain Erlande-Brandenburg et Dominique Thibaudat, Les Sculptures de Notre-Dame de Paris au musée de Cluny, Paris, 1982), auquel nous
sommes bien évidemment profondément redevables.
3. La dernière synthèse publiée sur le portail Sainte-Anne est celle de Jacques Thirion : Jacques Thirion, « Le portail Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris », Cahiers de la Rotonde.
4. Bernard de Montfaucon, Les Monuments de la monarchie françoise qui comprennent l'histoire de France, 1729-1733, vol. 1, pl. VIII.
5. Inv. 38.180.
6. Jacques Thirion, « Le portail Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris », Cahiers de la Rotonde, p. 28 et 38.
7. Sur cette chapelle, voir Lindy Grant, François Héber-Suffrin et Danielle Johnson, « La chapelle Saint-Aignan à Paris », dans Bulletin monumental, t. 157, 1999, p. 283-285 et, sur la parenté stylistique qui l’unit au chœur de Sainte-Geneviève, Xavier Dectot, « Saint-Aignan », dans Alain Erlande-Brandenburg, Jean-Michel Leniaud, François Loyer et Christian Michel, éd., Autour de Notre-Dame, Paris, 2003. Sur les rapprochements entre ces deux édifices et les consoles du portail Sainte-Anne, Xavier Dectot, « Early 12th Century Sculptures from the Collections of the musée national du Moyen Âge », Avista, 2003.
8. « Obiit Stephanus archidiaconus qui ecclesiam Beate Marie decenter reparavit », Molinier, 1902, p. 133.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016