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Réunion des Musées nationaux - Grand Palais - Catalogue des collections
Musée national du Moyen Age, Thermes et Hôtel de Cluny, Paris

Les catalogues raisonnés

Sculptures des XIe-XIIIe siècle - Collections du musée de Cluny

Auvergne

Cl. 9270

Vierge en majesté

Auvergne, 4e quart du xiie siècle

Bois polychrome
H. 80 ; L. 32 ; Pr. 29 cm


Historique

Trouvée à Clermont-Ferrand en 1874. Achetée la même année par le musée de Cluny à Mme Lamy.

Études et restaurations

Radiographie par Thierry Borel et étude de la polychromie par Sylvie Colinart pour le Laboratoire de recherche des musées de France en 1994. Étude et restauration par Anne Portal en 1994.


Commentaire

La Vierge est assise en position frontale sur un trône recouvert d’un coussin. Elle tient de ses deux mains l’Enfant, qui, assis sur ses genoux, lève la main droite, pouce, index et majeur tendus, annulaire et auriculaire repliés, en signe de bénédiction. Dans sa main gauche, l’Enfant porte un globe qui a perdu son attribut, probablement une croix, en faisant le symbole à la fois du rachat du péché, par analogie de la forme ronde avec la pomme, et de la souveraineté du Christ sur l’univers. La Vierge est vêtue d’une tunique longue, recouverte d’une chasuble à larges manches retombant sur ses genoux et d’un voile long passant derrière ses épaules pour revenir encadrer ses jambes et ne laissant apparaître qu’une seule frange de ses cheveux. Quant à l’Enfant, il porte également une tunique longue, ainsi qu’une étole lui enveloppant la taille et les jambes. Au dos, la Vierge présente une cavité rectangulaire assez large.

De part et d’autre de la tête de la Vierge, son voile s’évase, de façon symétrique, pour retomber ensuite le long du cou avant de s’épanouir sur les épaules. La chasuble est formée de larges plis tombant parallèlement sur le torse et sur les bras, où les manches présentent des plis disposés perpendiculairement. Les plis de la tunique, quant à eux, sont arrondis tant sur les manches que sur les jambes. La tunique de l’Enfant présente des plis aigus, quand l’étole est disposée en plis parallèles, formant un dégradé au niveau des mollets. On trouve deux anneaux métalliques, correspondant probablement à des fixations anciennes : l’un sur le socle entre les pieds, l’autre dans le dos, sous la cavité.

Le trône a presque entièrement disparu. Il n’en subsiste que l’assise et l’emmarchement, lui-même très usé. Un cabochon rapporté, qui maintenait la chasuble de la Vierge sur sa poitrine, a disparu, ne laissant visible que la trace de son implantation, et l’on ne peut que conjecturer pour savoir s’il était de bois ou d’orfèvrerie. Trois autres cabochons se trouvaient sur le front et les bras de la Vierge. Le bois a subi de nombreuses attaques d’insectes xylophages, ayant entraîné la disparition d’une partie du front, du nez et de l’avant-bras gauche de la Vierge, du coussin et du socle, ainsi que, probablement, celle des fragments manquants du trône. Le pouce et l’auriculaire de la main gauche de l’Enfant semblent avoir disparu par arrachement, tandis que ses pieds et l’attribut du globe, qui étaient rapportés par des chevilles (celle du globe subsiste encore), sont perdus. Outre ces éléments disparus, la statue se compose de cinq parties : un ensemble principal taillé dans un seul bloc d’un bois clair, probablement du chêne ou du noyer, les bras de l’Enfant et les têtes. En 1994, la statue fut restaurée par Anne Portal et, à cette occasion, une étude de polychromie fut réalisée par le Laboratoire de recherche des musées de France. Celle-ci permit de constater que la polychromie de l’œuvre avait été reprise au moins sept fois. La polychromie d’origine était probablement la suivante : bleu pour la chasuble de la Vierge, vert avec des décors pour sa robe et peut-être rouge pour son voile, jaune pour le manteau de l’Enfant et blanc pour sa robe, les carnations étant réalisées à l’aide de blanc de plomb parfois mêlé de vermillon. Seul un repeint récent, le bleu de la robe de l’Enfant, a été supprimé, et des zones où apparaissait une toile grossière, utilisée lors d’une restauration antérieure, ont été retouchées.

On trouve des représentations de la Vierge tenant l’Enfant sur les genoux, symbolisant la Vierge Theotokos1, mère de Dieu, dès les premières images chrétiennes, notamment dans des fresques des catacombes de Priscilla et de Sainte-Agnès, ainsi que sur un couvercle de sarcophage des catacombes de Domitille. Cette iconographie se retrouve par la suite dans toute l’Europe, mais avec une prégnance particulière dans la sculpture romane d’Auvergne2. Depuis Louis Bréhier3, on attribue ce foisonnement auvergnat, qui se combine avec une rare unité iconographique, à l’imitation d’un modèle commun, la Vierge d’or de la cathédrale de Clermont-Ferrand, exécutée pour l’évêque Étienne II par un clerc du nom d’Alleaume, peu après 946, et disparue à la Révolution. On peut certes s’interroger sur le temps séparant cette réalisation des premières copies connues (qui datent du début du xiie siècle). Il peut sans doute s’expliquer par la différence de matériau, mais aussi par le renouveau du culte marial au xiie siècle, probablement d’autant plus fort dans la région en raison de la proximité de la cathédrale du Puy-en-Velay. Le xiie siècle étant également une période d’accroissement du culte des reliques, la multiplication des Vierges en majesté en Auvergne à cette époque se justifie aussi probablement par leur fonction de reliquaire, dont témoigne celle du musée avec sa cavité arrière.

Chronologiquement, cette statue se situe au moment de l’apogée de la production de ces Vierges en majesté. Le travail du voile autour de la tête de la Vierge comme celui des plis de sa robe, les proportions des visages, le traitement du bas de la robe du Christ rappellent assez étroitement la Morgan Madonna du Metropolitan Museum de New York4, mais aussi, plus lointainement peut-être, la Vierge de Notre-Dame de Roche-Charles, près d’Issoire. La structuration des vêtements de la Vierge, en revanche, est plus proche de certaines Vierges du Cantal, telles celles de Molompize ou de Moussages. Le côté particulièrement aigu de certains plis tend à placer cette œuvre peut-être légèrement plus tard que les précédentes, dans les dernières décennies du xiie siècle.

1. Le terme de « Sedes sapientiæ » est souvent utilisé aujourd’hui pour désigner cette iconographie. Issu des Litaniæ lauretanæ, il n’est employé qu’occasionnellement au Moyen Âge, et encore guère avant le xive siècle, aussi n’avons-nous pas cru bon de le retenir ici.

2. Sur les représentations de la Vierge en Occident, voir Russo, 1996, notamment p. 191-196.

3. Bréhier, 1933.

4. Inv. 16.32.194.


Bibliographie

  • Edmond Du Sommerard, Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny. Catalogue et description des objets d’art de l’Antiquité, du Moyen Âge et de la Renaissance, Paris, Hôtel de Cluny, 1883, no 728, p. 63.
  • Edmond Haraucourt, François de Montrémy et Élisa Maillard, Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny. Catalogue des bois sculptés et meubles, Paris, Musées nationaux, 1925, no 2.
  • Xavier Dectot, Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, Catalogue, Sculptures des xie-xiie siècles. Roman et premier art gothique, Paris, RMN, 2005, no 152.
  • Louis Bréhier, « Note sur les statues de Vierges romanes », Revue d’Auvergne, 1933.
  • Daniel Russo, « Les représentations mariales dans l’art d’Occident. Essai sur la formation d’une tradition iconographique », dans Dominique Iogna-Prat, Eric Palazzo et Daniel Russo (éd.), Marie, le culte de la Vierge dans la société médiévale, Paris, Beauchesne, 1996, p. 173-291.

Index

Désignation : Ronde-bosse
Matière : Bois
Technique : Sculpture polychrome
Sujet iconographique : Vierge à l’Enfant
Motif décoratif : Trône
Périodes : 4e quart du XIIe siècle


Permalien pour cette notice

http://www.sculpturesmedievales-cluny.fr/notices/notice.php?id=1152



Xavier Dectot

© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016

« Morgan Madonna » (face). © New York, The Metropolitan Museum of Art, Gift of J. Pierpont Morgan, 1916, 16.32.194a,b.
« Morgan Madonna » (face). © New York, The Metropolitan Museum of Art, Gift of J. Pierpont Morgan, 1916, 16.32.194a,b.
« Morgan Madonna » (dos). © New York, The Metropolitan Museum of Art, Gift of J. Pierpont Morgan, 1916, 16.32.194a,b.
« Morgan Madonna » (dos). © New York, The Metropolitan Museum of Art, Gift of J. Pierpont Morgan, 1916, 16.32.194a,b.

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