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Réunion des Musées nationaux - Grand Palais - Catalogue des collections
Musée national du Moyen Age, Thermes et Hôtel de Cluny, Paris

Les catalogues raisonnés

Sculptures des XIe-XIIIe siècle - Collections du musée de Cluny

Auvergne

Cl. 2149

Christ de crucifixion

Auvergne, 2e moitié du xiie siècle

Bois polychrome (poirier ?)
H. 181 ; L. 189 ; Pr. 28 cm


Historique

Donné par Aymon Gilbert Mallay, architecte diocésain de Clermont, au musée de Cluny en 1852.

Études et restaurations

Restauration par Louis-Charles-Auguste Steinhel et Geoffroy-Dechaume en 1852, et par Dominique Biesel en 1992.


Commentaire

Lorsqu’il entra dans les collections en 1852, ce Christ de crucifixion fut doté d’une croix peinte. La croix fut fournie par un entrepreneur de Bagneux du nom de Desharnoux et peinte par Louis-Charles-Auguste Steinhel1, demeurant à Poissy, avec, au bras gauche, un ange tenant la lune, au bras droit, un ange tenant le soleil, aux pieds, un ange recevant le sang du Christ, et à la tête, une main de Dieu sortant des nuages et bénissant. L’ensemble, selon le témoignage des archives du musée, fut réalisé sous la direction d’Eugène Viollet-le-Duc. La statue fut, quant à elle, confiée aux soins de Geoffroy-Dechaume, auquel les archives du musée permettent d’attribuer formellement la réfection de la main droite, à partir d’un moulage de la gauche, mais aussi de diverses portions du corps, au nombre desquelles il convient probablement de compter les quatre orteils extérieurs du pied gauche, imités avec le même soin que la main. Une autre campagne de restauration, probablement postérieure, peut-être au début du xxe siècle, avait procédé à la réfection de la partie supérieure du crâne, de l’arcade sourcilière, du nez et de certaines boucles à l’aide d’un mastic épais à base de plâtre. Beaucoup plus grossière, elle semble avant tout répondre aux variations dans la présentation de l’œuvre, et notamment à une époque où seule la tête était présentée, sur un socle. De même, une cavité au genou gauche avait été bouchée à l’aide d’une toile épaisse. Ces reprises maladroites ont été remplacées par des bouchages plus légers en 1992 par Dominique Biesel.

Le bois employé, celui d’un arbre fruitier, probablement un poirier, s’il n’est pas le plus courant, ne doit en rien surprendre, tant est grande la variété des essences utilisées dans la sculpture sur bois de l’époque romane. Le musée conserve d’ailleurs un autre exemple de sculpture en poirier du xiie siècle (Cl. 23673). L’analyse stratigraphique de la polychromie effectuée par Dominique Biesel a, quant à elle, révélé que la polychromie conservée, pour ancienne qu’elle soit, n’était pas celle d’origine, à l’exception d’une petite zone au dos de la pièce, près de la ceinture du perizonium, qui montre un rouge mat et une fine ligne noire.

Le Christ porte des cheveux longs, travaillés en mèches épaisses tirées de part et d’autre de la raie centrale et retombant de chaque côté du cou en mèches ondulées, brutalement interrompues au niveau de la jonction entre la tête et le cou, ce qui pourrait inciter à penser qu’elles étaient prolongées par des éléments peints. Le visage, légèrement incliné à dextre, est assez long, scandé par un nez droit et une moustache très rectiligne, qui s’étend des narines aux commissures des lèvres. Les yeux sont légèrement fermés, soulignés par des paupières étroites. La barbe est elle aussi taillée en mèches épaisses qui longent les joues pour se rejoindre sous le menton, étirant encore le visage. Les bras sont étendus presque perpendiculairement au corps et les avant-bras forment un léger angle vers le haut. Le sternum est marqué par des lignes parallèles, occupant le premier tiers du torse. Un léger relâchement abdominal fait saillir le ventre, au nombril très travaillé et souligné par une ridule, sur le perizonium. Ce dernier est particulièrement soigné. Il descend jusqu’aux genoux en longs plis concentriques, au relief acéré, aux consonances presque métalliques. L’élément le plus remarquable est sa partie supérieure, où la pièce de tissu est travaillée comme une ceinture, avec un nœud complexe, remontant presque en angle droit, pour s’épanouir ensuite en une retombée aux plis extrêmement fluides, l’ensemble rappelant l’art du métal. Les jambes, aux mollets saillants, sont parallèles et les pieds, aux tendons marqués, sont également placés côte à côte.

On ne sait rien sur l’origine de l’œuvre avant son entrée au musée. Deux régions de provenance ont été proposées : l’Auvergne et la Bourgogne. Peu de comparaisons satisfaisantes peuvent cependant être apportées en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse. De fait, il n’existe aucune œuvre bourguignonne dont ce Christ puisse être rapproché de façon probante. Seul le travail des plis du perizonium rappelle, par son caractère serré et métallique, le Christ « Courajod » du Louvre. Encore les plis y sont-ils circulaires, quand ceux du Christ du musée sont triangulaires, témoignant davantage de traits communs à la production artistique du milieu du xiie siècle que d’une participation d’un même style régional. Quant aux Christs auvergnats, le problème est plus complexe. Les comparaisons avec la plupart des Christs de la Haute-Loire, pour suggestives qu’elles semblent parfois, doivent être rejetées2. L’approche du système pileux y est en effet totalement différente. La raie centrale est moins profonde, et les cheveux retombent sur le cou de façon droite et non en longues ondulations. Si la moustache y part aussi de façon rectiligne de la base du nez, elle se prolonge bien plus, au-delà des joues. La barbe y est travaillée en mèches beaucoup plus serrées, terminées par des bouclettes absentes du Christ donné par Mallay. Surtout, le traitement du perizonium diffère totalement. Les plis, moins nombreux, sont plus lâches, et le nœud est bien plus simple.

Deux œuvres peuvent cependant être davantage rapprochées de ce Christ : les chapiteaux de l’église du chœur de Saint-Austremoine d’Issoire (Puy-de-Dôme) et un torse de Déposition de croix du Metropolitan Museum of Art de New York, provenant peut-être de Lavaudieu (Haute-Loire). Le cas des chapiteaux d’Issoire semble à première vue le plus probant, tant il y a de rapports, malgré la différence de support et de dimensions, entre la tête du Christ du musée et certaines des têtes du chapiteau de la Cène dans le chœur de l’église. Malheureusement, Saint-Austremoine d’Issoire a été l’objet de fortes restaurations au xixe siècle, sous la direction de Mallay, et les chapiteaux furent profondément repris, à tel point qu’il est impossible de déterminer avec précision quels sont les restes anciens. Il est hélas très probable que le rapprochement entre la tête du Christ et celles du chapiteau soit dû au fait que le sculpteur travaillant sous les ordres de Mallay s’est inspiré du Christ, alors encore entre ses mains. Plus intéressant est le parallèle avec le torse du Metropolitan. Un certain nombre de traits, notamment le travail assez particulier, en œil, du nombril, le sternum marqué par des bourrelets parallèles et la retombée de la ceinture du perizonium, sont assez proches de ceux du Christ du musée. Quelques différences doivent cependant être notées : sur le plan iconographique, le torse de Déposition du Metropolitan présente une blessure au flanc, témoignage de la corporalité du Christ, quand celui du musée ne porte de stigmates que les trous des mains et des pieds, et semble plus imprégné de majesté divine que de souffrance humaine. Du point de vue stylistique, les pans du perizonium, travaillés en plis serrés et aigus sur le Christ du musée, sont plus lâches sur le Christ du Metropolitan. Enfin, si l’on accepte l’idée, controversée, que la tête conservée au département des Sculptures du musée du Louvre sous le numéro RF 1662 proviendrait du même Christ que le torse du Metropolitan, elle situerait l’œuvre dans une ambiance artistique fort différente de celle dans laquelle fut produit le Christ du musée.

1. Peintre d’histoire, né à Strasbourg en 1814, mort en 1885, beau-frère d’Ernest Meissonier. Je tiens à remercier Jean-Christophe Ton-That pour ces précieux renseignements.

2. Il s’agit notamment des Christs d’Arlet et de Lavoûte-sur-Loire, de la tête de Christ du Philadelphia Museum of Art (inv. 62.216.2) et, au Musée national du Moyen Âge, du Christ mort, Cl. 23 409.


Bibliographie

  • Adolphe de Chalvet de Rochemonteix, Les Églises romanes de la Haute-Auvergne, Paris, Picard, 1902, p. 410.
  • Edmond Haraucourt, François de Montrémy et Élisa Maillard, Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny. Catalogue des bois sculptés et meubles, Paris, Musées nationaux, 1925, no 1.
  • Prosper Mérimée, Correspondance générale, t. VI, 1850-1852, Paris, le Divan, 1947, p. 248.
  • Oleg Zastrow, « La questione stilistica relativa a un ignorato Cristo ligneo romanico nei musei del Castello Sforzesco », dans Cleila Alberici et al., Raccolta delle Stampe A. Bertarelli, Raccolte di Arte Applicata, Museo degli Strumenti musicali : Rassegna di Studi e notizie (Castello Sforzesco, Milano), t. 8, Milan, Ripartizione cultura e spettacolo, 1980, p. 389-416.
  • Alain Erlande-Brandenburg, Dany Sandron et Pierre-Yves Le Pogam, Musée national du Moyen Âge. Guide des collections, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 125.
  • Xavier Dectot, Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, Catalogue, Sculptures des xie-xiie siècles. Roman et premier art gothique, Paris, RMN, 2005, no 148.

Index

Désignation : Ronde-bosse
Matière : Poirier
Technique : Sculpture polychrome
Sujets iconographiques : Christ ; Crucifixion
Périodes : 2e moitié du XIe siècle


Permalien pour cette notice

http://www.sculpturesmedievales-cluny.fr/notices/notice.php?id=1148



Xavier Dectot

© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016

Tête de Christ provenant peut-être de Lavaudieu. Paris, musée du Louvre. © RMN - Gérard Blot
Tête de Christ provenant peut-être de Lavaudieu. Paris, musée du Louvre. © RMN - Gérard Blot
Torse de Christ provenant peut-être de Lavaudieu © New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1925, 25.120.221.
Torse de Christ provenant peut-être de Lavaudieu © New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1925, 25.120.221.

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