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Cl. 23413
Île-de-France (?), 3e tiers du xiie siècle
Calcaire
H. 27 ; L. 16 ; Pr. 19 cm
Donnée par Guy Ladrière au musée de Cluny en 1992.
Analyse de la pierre par Annie Blanc et Claude Lorentz pour le Laboratoire de recherche des monuments historiques en 1992.
De part et d’autre d’une raie centrale, qui s’étire de façon légèrement oblique vers la droite, des cheveux travaillés en longues mèches serrées, coiffées en bandeau, tombent de chaque côté du visage, déterminant un large front en forme de losange, marqué par deux ridules au-dessus d’une arcade sourcilière un peu proéminente. Les yeux, en amande, sont en partie dissimulés par les deux paupières gonflées. Le nez est droit, les pommettes haut placées, renforçant la maigreur et le hiératisme qui naissent de l’allongement du visage. La bouche est serrée, les lèvres fines, et soulignée par une moustache tombante, placée sous deux ridules partant des ailes du nez. La barbe est formée de larges mèches parallèles, terminées en bouclettes. La tête, qui se trouvait brisée en trois morceaux, fut restaurée avant son entrée dans les collections du musée. La brisure principale, qui barrait le visage de l’oreille gauche au côté droit du cou, à travers la lèvre supérieure, est encore visible à l’examen, bien que les lacunes aient été reprises à l’enduit. L’extrémité du nez est brisée, et, au revers, la tête présente les traces d’arrachement de son support. La brisure au sommet du cou est franche.
Lors de sa publication, Alain Erlande-Brandenburg proposait d’y voir la tête d’une voussure. L’argument est rejeté par Dany Sandron dans une note manuscrite, au motif que les dimensions ne seraient pas compatibles. Se fondant sur le canon des statues de Chartres, il affirme qu’il s’agirait plutôt d’une statue-colonne d’environ 1,70 m de haut, ou, s’il s’était agi d’une statue assise, de 90 cm de haut, ce qui lui semble exclu dans le cadre d’un portail du xiie siècle. Une autre note du même auteur, antérieure, éclaire les sources de l’attribution de la tête à une voussure : elle se fonde sur les dimensions de deux têtes provenant du portail de Saint-Calixte, à la cathédrale de Reims, aujourd’hui conservées au palais du Tau, qui mesurent respectivement 24 et 26 cm de hauteur. La question de la datation de cette pièce est donc essentielle quant à la détermination de son origine : dans la première note citée, Dany Sandron opte pour le troisième quart du xiie siècle, quand dans la seconde, il privilégiait une datation aux alentours de 1200, voire dans la première décennie du xiiie siècle.
La provenance géographique de l’œuvre se situe dans un rayon assez restreint. L’étude de la pierre par Annie Blanc et Claude Lorentz a en effet montré qu’elle était réalisée dans un calcaire extrait à proximité de Paris, entre Arcueil au sud, Mantes à l’ouest, Marly-la-Ville à l’est et une ligne passant par Magny-en-Vexin, Pontoise et Senlis, mais au sud de Saint-Leu, pour la limite septentrionale. Si la pierre circulait au-delà de sa zone d’extraction, la région de réalisation de cette œuvre n’en paraît pas moins vraisemblablement se situer en Île-de-France ou dans le sud de la Picardie. Et c’est évidemment au portail de Senlis et au portail central de la façade occidentale de la collégiale de Mantes que l’on pense tout d’abord en voyant cette pièce1. On retrouve les mêmes pommettes hautes, les mêmes visages sévères et allongés, une même dignité retenue de l’ensemble. Mais quelques détails, notamment les cheveux, à la coiffure plus calme, et surtout le traitement des yeux et des rides de part et d’autre de la bouche, incitent à placer cette œuvre dans un contexte plus tardif. À l’autre extrême, la fameuse tête d’homme barbu du musée Haubergier de Senlis2, avec le traitement métallique, rigide, de sa barbe et ses lèvres épaisses, semble nettement plus tardive, même si l’on y retrouve une continuité dans le travail des yeux. Il nous semble d’ailleurs que l’on peut également situer cette tête avant la grande poussée naturaliste des environs de l’an 1200, telles celles qui apparaissent au portail central de la façade occidentale de Sens ou, dans une moindre mesure, au portail du couronnement de Laon3. On retrouve en revanche la même dureté d’expression dans les statues-colonnes du cloître de Notre-Dame-en-Vaux, à Châlons-en-Champagne. L’ensemble de ces rapprochements incite donc à une datation dans le dernier tiers du xiie siècle, probablement dans les années 1170-1180.
En conséquence, il semble effectivement exclu, au vu de ses dimensions et de sa datation probable, que cette tête puisse provenir d’une voussure, mais il ne paraît pas non plus nécessairement judicieux de se fonder sur le canon, qui plus est assez variable, des statues de la façade occidentale de Chartres pour déterminer la dimension totale de cette sculpture. Qu’il suffise ici de dire que l’on avait affaire à une sculpture en ronde-bosse d’une taille légèrement inférieure à celle d’un homme, qui provient, le plus probablement, d’une statue-colonne de cloître.
1. Pour Senlis, voir notamment les deux têtes du musée Haubergier, dans Senlis, 1977, nos 38 et 39, p. 39-41. Sur la collégiale de Mantes, voir Erlande-Brandenburg, 2000.
2. Voir par exemple Senlis, 1977, no 49, p. 51.
3. Sur le premier, voir notamment une tête du Musée synodal de Sens, Sauerländer, 1972, fig. 64 et p. 91. Pour le second, on songe, entre autres, à une statue-colonne du musée municipal de Laon, Sauerländer, 1972, fig. 72 (droite) et p. 109.
Désignation : Ronde-bosse
Matière : Calcaire lutétien
Technique : Sculpture
Sujets iconographiques : Apôtre ; Homme ; Prophète
Périodes : 2e moitié du XIe siècle
http://www.sculpturesmedievales-cluny.fr/notices/notice.php?id=1138
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016