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Réunion des Musées nationaux - Grand Palais - Catalogue des collections
Musée national du Moyen Age, Thermes et Hôtel de Cluny, Paris

Les catalogues raisonnés

Sculptures des XIe-XIIIe siècle - Collections du musée de Cluny

Notre-Dame de Paris, bras sud du transept

Cl. 11657

Pierre de Montreuil
Mort en 1267

Adam

Paris, vers 1260

Calcaire polychrome
H. 200 ; L. 73 ; Pr. 41 cm


Historique

Provient du revers du bras sud du transept de Notre-Dame de Paris. Musée des Monuments français. Chantiers de Saint-Denis. Attribué au musée de Cluny en 1887.

Études et restaurations

Réfection partielle des jambes, des bras, des mains, du nez et des branches de l’arbre par A. Geoffroy, sculpteur, en 1888. Remise en place et scellement d’éléments des bras par le même en 1901. Suppression des goujons de fer et remplacement par des goujons de laiton en 1979. Projet de modification de la position de la main droite et de reprise de l’avant-bras par Didier Besnaiou en 1984. Analyse de la polychromie par Sylvie Colinart pour le C2RMF en 2000 : pour la feuille, première couche vert pâle à base de blanc de plomb sur carbonate de calcium, repeints vert pâle (aussi à base de blanc de plomb) et sombre (sans blanc de plomb) puis jaune (ocre). Par-dessus se trouvent une couche de blanc de plomb avec un liant à l’huile, une couche verte épaisse à base de pigment organométallique au cuivre et une couche grise hétérogène à base de blanc de plomb. Pour la tige, sur une base de carbonate de calcium, sont placées une couche gris-beige, une autre de jaune d’ocre à liant huileux, une couche rouge à base d’oxyde de fer et enfin une dernière, grisâtre, faite de grains de silice.


Commentaire

Il a fallu longtemps avant que l’Adam de Notre-Dame de Paris ne reçoive l’attention qu’il méritait de la part des historiens de l’art. Ce n’est que depuis une quarantaine d’années, une fois que sa datation, sa provenance exacte et son état d’authenticité eurent été établis, qu’il a pris sa place, centrale, dans l’histoire de la sculpture médiévale. L’on savait dès son entrée dans les collections du musée des Monuments français le 18 germinal an V qu’il trouvait son origine à Notre-Dame de Paris, mais ce n’est qu’avec la réinterprétation par Colombier de la monographie de Gilbert, et surtout avec la découverte d’un dessin du fonds Robert de Cotte (BnF, département des Estampes et de la Photographie, Va 442 gr. in-fol., dessin no 1856) qu’il fut situé au revers du bras sud du transept, faisant pendant à Ève, aux pieds d’un Christ du Jugement dernier entouré d’anges portant les instruments de la Passion. Ce groupe répondait au jubé, consacré à la Résurrection des morts, et en prolongeait l’iconographie. Cette identification de la provenance eut des conséquences évidentes sur la datation de l’œuvre, alors attribuée, et ce depuis l’époque d’Alexandre Lenoir, au xive siècle (ce qui était d’ailleurs aussi le cas des Apôtres de la Sainte-Chapelle). Or les travaux de construction du bras sud du transept de Notre-Dame de Paris sont particulièrement bien connus grâce à l’inscription qui court à sa base et qui indique que les travaux furent commencés par Jean de Chelles. On sait aussi que les travaux furent, après le 12 février 1258, poursuivis par Pierre de Montreuil. C’est sans doute au second que l’on doit cette œuvre, si l’on en juge par la vitalité du travail du figuier, proche de ce que l’on retrouve dans d’autres de ses œuvres, et notamment dans les travaux de Saint-Germain-des-Prés (Cl. 18986, Cl. 23664 à Cl. 23670).

Les restaurations successives qu’a subies cette sculpture ont en partie modifié son aspect : la reprise des mollets en a manifestement transformé les proportions, mais c’est surtout au niveau de la main droite que leurs conséquences sont les plus sensibles : dans deux vues de la salle du xive du musée des Monuments français – un dessin de Vauzelle, dans l’Album Lenoir du département des Arts graphiques du musée du Louvre (RF 5279) et, surtout, un tableau de Charles-Marie Bouton du musée de l’Ain à Bourg-en-Bresse –, l’Adam, qui apparaît en arrière-plan, effectue un geste manifestement différent : au lieu de bénir, paume tournée vers l’extérieur, la main est retournée et semble tenir un objet qui, comme l’a noté Alain Erlande-Brandenburg, est très probablement une pomme, selon une iconographie classique associant Adam au péché originel. Par-delà l’iconographie, cette modification a donc modifié notre perception générale de l’œuvre, et son contexte stylistique.

Avec son fort hanchement, contrebalancé par un mouvement opposé des épaules, l’opposition entre son genou gauche plié et le genou droit resté tendu, sa main gauche délicatement ramenée devant la feuille de figuier qu’elle retient et sa main droite relevée devant la poitrine, l’Adam s’inspire manifestement, dans sa posture générale, du type antique des Vénus pudiques, dérivé de l’Aphrodite de Cnide de Praxitèle. Une fois cela établi, d’autres éléments anatomiques, qui surprennent même dans le contexte raffiné de la sculpture parisienne du milieu du xiiie siècle, se comprennent : les hanches étroites, le corps sinueux, les fesses fermes et rebondies, les cuisses un peu pleines s’expliquent par le lien avec un nu féminin réadapté à une figure masculine. Et si l’on fait abstraction de la chevelure, qui elle appartient pleinement à l’art de son temps, et plonge même ses racines dans des sculptures antérieures de quelques décennies comme le linteau du portail central de Notre-Dame de Paris (Cl. 18643 a, b, c et d et RF 996), le visage lui-même trahit son inspiration antiquisante, proche de certains bustes d’Apollon de la Rome impériale. Une question reste, et insoluble : Pierre de Montreuil et les sculpteurs de son atelier avaient-ils une connaissance directe des modèles qu’ils adaptaient (on sait, notamment, que les petits bronzes antiques circulaient largement dans les collections médiévales) ou indirecte par le biais de carnets de modèles (celui de Villard de Honnecourt montre que des dessins d’après l’antique circulaient et étaient régulièrement repris) ? Il est difficile de se prononcer. L’incertitude qui pèse sur la position exacte des mollets, et donc des genoux, gêne en effet ici, mais la différence, sur ce point, entre la source antique et sa reprise médiévale semble suffisamment importante pour plaider en faveur d’une inspiration indirecte.

Si l’influence directe de l’Adam sur la sculpture parisienne de la seconde moitié du xiiie siècle, dominée par les Apôtres de la Sainte-Chapelle, semble limitée en dehors du strict cadre de la cathédrale, elle a en revanche été forte sur les autres chantiers français et notamment, comme l’a bien montré Peter Kurmann, sur celui de la cathédrale de Reims, mais davantage dans le travail de la chevelure et du visage que dans le positionnement du corps : dans un paysage artistique médiéval où le nu, sans être exceptionnel, est à tout le moins rare, les solutions originales qu’il proposait ne pouvaient guère s’appliquer dans un art dominé par le travail du drapé.


Bibliographie

  • Antoine-Pierre-Marie Gilbert, Description historique de la basilique métropolitaine de Paris et des curiosités de son trésor, Paris, A. Le Clère, 1821, p. 200-201.
  • Ferdinand de Guilhermy, Itinéraire archéologique de Paris, Paris, Bance, 1855, p. 35.
  • Ferdinand de Guilhermy, Notes archéologiques, BnF, nouv. acq. fr. 6122, 1856, fol. 34v.
  • Ferdinand de Guilhermy, François et Eugène Viollet-le Duc, Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris, Paris, Bance, 1856, p. 23.
  • Louis Courajod, Alexandre Lenoir, son journal et le musée des Monuments français, vol. 3, Paris, H. Champion, 1878, t. 1, p. 116.
  • Edmond Haraucourt et François de Montrémy, Musée des Thermes et de l’hôtel de Cluny. Catalogue général, t. I, La pierre, le marbre et l’albâtre, Paris, Musées nationaux, 1922, no 248, p. 55.
  • Dieter Kimpel, Die Querhausarne von Notre-Dame zu Paris und ihre Skulpturen, Bonn, Druck, 1971, p. 279.
  • Alain Erlande-Brandenburg, « L’Adam du musée de Cluny », Revue du Louvre et des musées de France, 250 (2), 1975, p. 81-90.
  • Alain Erlande-Brandenburg et Dominique Thibaudat, Les Sculptures de Notre-Dame de Paris au musée de Cluny, Paris, RMN, 1982, no 324.
  • Alain Erlande-Brandenburg, Dany Sandron et Pierre-Yves Le Pogam, Musée national du Moyen Âge. Guide des collections, Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, no 158, p. 131-132.
  • Charles T. Little, « Searching for the Provenances of Medieval Stone Sculpture: Possibilities and Limitations », Gesta, XXXIII (1), 1994, p. 32-33.
  • Michael Camille, Gothic Art: Visions and Revelations of the Medieval World, Londres, Calmann and King Ltd, 1996, p. 154-155.
  • Bernard Valade et al., Paris, Paris, Citadelles et Mazenod, 1997, p. 67.
  • Peter Kurmann, La Façade de la cathédrale de Reims : architecture et sculpture des portails : étude archéologique et stylistique, vol. 2, Paris, Éd. du centre national de la recherche scientifique, 1987, p. 30.
  • Élisabeth Antoine, Xavier Dectot, Julia Fritsch, Viviane Huchard, Sophie Lagabrielle et Florence Saragoza, Le Musée national du Moyen Âge, Paris, RMN, 2003, p. 70.

Expositions

  • Les grandes heures de Notre-Dame de Paris, Paris, chapelle de la Sorbonne, 1947.
  • Paris, ville rayonnante, Paris, musée de Cluny, 2010.

Index

Désignation : Ronde-bosse
Matière : Calcaire
Technique : Sculpture
Sujet iconographique : Adam
Motif décoratif : Figuier
Périodes : 3e quart du XIIIe siècle


Permalien pour cette notice

http://www.sculpturesmedievales-cluny.fr/notices/notice.php?id=3



Xavier Dectot

© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016

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