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Les origines de l'église Sainte-Geneviève sont particulièrement prestigieuses1. Elle fut en effet fondée par Clovis et abrite la sépulture de la sainte parisienne. Il est assuré que sainte Geneviève y fut enterrée vers 502, et que l'église fut achevée après la mort de Clovis en 5112, mais la chronologie exacte des événements reste discutée : pour d'aucuns, l'église, originellement dédiée aux Saints Apôtres3 et située à l'emplacement d'une nécropole aristocratique, aurait été conçue par Clovis comme un panthéon royal et le chantier lancé avant 4964. Ainsi, la sainte aurait été inhumée dans le monument en cours de construction. Didier Busson semble, quant à lui, privilégier la seconde hypothèse, qui voit l'église fondée après la mort de la sainte et à l'emplacement de sa sépulture5. Sans que cela permette de trancher, il faut noter que la titulature de l'église paraît indiquer sa vocation de sépulture royale : dans un royaume mérovingien naissant, il n'est en effet pas innocent que l'église qui reçut les sépultures de Clovis et de Clotilde soit placée sous le même patronage que celle qui, à Byzance, reçut la tombe de Constantin et de ses successeurs. En ce sens, il semble que la fonction de nécropole royale ait eu, à l'origine, la prééminence sur l'exaltation de la sainte parisienne.
Comme nombre d'autres églises parisiennes, Sainte-Geneviève se serait retrouvée entièrement dévastée après les invasions normandes, et donc entièrement reconstruite à partir du xie siècle6. N'en subsistent aujourd'hui que quelques fragments, intégrés au lycée Henri IV : le clocher du xie siècle, dont les deux derniers étages furent repris aux xive et xve siècles, et le réfectoire du début du xiiie siècle7. En 1754, l'abbaye avait confié à Soufflot le soin de construire un nouvel édifice, l'actuel Panthéon, pour remplacer l'église abbatiale, qui fut détruite entre 1801 et 1807. Les sources, qui ont été examinées avec soin par René Giard8, ne nous renseignent guère sur le déroulement de la construction et, malgré la subsistance de documents graphiques, notamment les relevés de Le Gentil de la Galaisière9, la disparition de l'église rend aléatoire tout jugement sur son architecture. De nombreux éléments nous en sont cependant parvenus10. Recueillis par Alexandre Lenoir en 1790, lorsque l'abbaye devint bien national, ou en 1807, après sa destruction, ils ont été dispersés après la fermeture du musée des Monuments français. Nombre d'entre eux aboutirent après leur errance au musée, par diverses voies : certains entrèrent au dépôt lapidaire de Paris, et suivirent celui-ci dans les collections du musée, d'autres passèrent par les Chantiers de Saint-Denis. Certains, enfin, qui étaient restés sur place et exposés dans les différentes cours de l'École nationale supérieure des beaux-arts, furent déposés au musée en 1969, dépôt complété en 1983.
Il est évidemment toujours aléatoire de se fonder sur les chapiteaux pour établir une chronologie du monument. Les éléments conservés permettent cependant de postuler une reconstruction de l'abbatiale au xiie siècle. Qui plus est, les chapiteaux de la nef semblent antérieurs à ceux du chœur, ce qui pourrait indiquer que la construction s'est faite d'ouest en est. Leur datation n'est cependant pas parfaitement assurée : si tous les auteurs s'accordent pour placer les chapiteaux du chœur dans le deuxième quart du xiie siècle, on constate en revanche des divergences pour ce qui est de ceux de la nef : Cécile Giteau proposait en effet de les dater des années 1120-1125, ce qui impliquait l'hypothèse d'une reconstruction rapide, en une seule campagne, de l'ensemble du monument. Dans la lignée de Francis Salet11, la plupart des auteurs s'accordent cependant à leur donner une date plus ancienne, dans les premières années du xiie siècle. La comparaison entre les éléments de la nef (dépôts de l'École nationale supérieure des beaux-arts EBA 146-198, EBA 146-200, EBA WB 117 et EBA 146-196) et du chœur (chapiteaux Cl. 12100 et 18954, tailloirs Cl. 19050, 19531 et 19558) conservés au musée plaide en ce sens. Quant à la datation des chapiteaux du chœur, elle est amplement confirmée par la comparaison avec ceux de la chapelle Saint-Aignan, fondée par Étienne de Garlande vers 112012. Ces chapiteaux semblent clairement issus d'un même atelier et tendent à attribuer au chancelier du royaume, qui était, entre autres, doyen de Sainte-Geneviève, un rôle important dans la reconstruction du chœur de l'abbaye génovéfaine.
Un point mérite tout d'abord d'être souligné : alors que trois des quatre chapiteaux de la nef portent un décor iconographique, ceux du chœur se contentent de motifs végétaux. Qui plus est, les rinceaux des chapiteaux du chœur présentent une souplesse et une délicatesse qui contrastent avec le caractère beaucoup plus simple de ceux de la nef. Sur ces derniers, en effet, les rinceaux sont constitués de deux brins séparés par une gorge peu profonde, l'ensemble ayant un modelé limité, qui n'est guère éloigné du méplat. Les proportions sont également fort différentes. Certes, il faut tenir compte des différences de provenance, les chapiteaux de la nef ayant été placés sur de très larges colonnes, quand ceux du chœur proviennent de colonnettes engagées ou de colonnettes d'angle. Il n'empêche que les premiers apparaissent trapus, presque lourds, quand les seconds sont effilés et beaucoup plus légers. En résumé, les chapiteaux de la nef, avec leurs scènes de la Genèse ou leurs signes du zodiaque, plongent, tant stylistiquement qu'iconographiquement, leurs racines dans le monde roman parisien et normand. Au contraire, les chapiteaux du chœur témoignent, comme ceux de l'abside de Saint-Martin-des-Champs, de cet art qui se développe à Paris dans les années 1130-1140 et qui porte en germe les transformations dans la place de la sculpture qui écloront à Saint-Denis.
Tailloir engagé à décor de rinceaux
1. Pour une synthèse sur les premiers temps de Sainte-Geneviève et leur connaissance tant par les textes que par l'archéologie, voir Didier Busson, Carte archéologique de la Gaule, Paris 75, Paris, 1998, p. 363-373.
2. D'après l'auteur de la Vita Sanctæ Genovefæ, qui écrit vers 520. Voir Vita Sanctæ Genovefæ, dans Monumenta Germaniæ Historica, Scriptores rerum merovingiacarum, t. III, Bruno Krusch éd., Hanovre, 1896, p. 237-238.
3. Grégoire de Tours, « Liber in gloria martyrum », Scriptores rerum Merovingicarum, Krusch, Bruno et Levinson éd., « Monumenta Germaniæ Historica », vol. I, Wilhelmus éd., Hanovre, 1985, p. 355.
4. Jacques Dubois, « L'organisation primitive de l'église de Paris (iiie-ve siècle) », dans Cahiers de la rotonde, t. 11, 1988, p. 5-18.
5. Didier Busson, Carte archéologique de la Gaule, Paris 75, Paris, 1998, p. 363-364.
6. Personne, à notre connaissance, ne s'est penché sur l'ampleur et la réalité des destructions d'églises parisiennes prêtées aux Normands. On peut en effet se demander s'il n'y a pas là, en partie du moins, un topos destiné à justifier l'ampleur des reconstructions à Paris après l'an mil. Les destructions liées à un envahisseur sont en effet invoquées de façon récurrente par l'historiographie, tout en apparaissant, le plus souvent, limitées, les reconstructions s'avérant plus souvent liées à la vétusté des bâtiments qu'à leur arasement par des barbares. Tel est notamment le cas, à la même époque, en Espagne du Nord, où les destructions sont prêtées avec générosité aux raids d'al-Mansûr, ou, bien plus tard, à Paris, où l'activité tant constructrice que destructrice des Anglais dans la première moitié du xve siècle a été souvent surévaluée. Sur le premier cas, voir María Isabel Pérez de Tudela y Velasco, « Guerra, violencia y terror. La destrucción de Santiago de Compostela por Almanzor hace mil años », dans En la España Medieval, t. 21, 1998, p. 9-28 ; sur le second, voir Agnès Bos, Les Églises flamboyantes de Paris, xve-xvie siècles, Paris, 2003.
7. May Vieillard-Troïekouroff, Denise Fossard, Élisabeth Châtel et Colette Lamy-Lassalle, « Les anciennes églises suburbaines de Paris (ive-xe siècle) », dans Paris et Île-de-France. Mémoires de la Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l'Île-de-France, t. 11, 1960, p. 173-180.
8. René Giard, « Étude sur l'histoire de l'abbaye de Sainte-Geneviève de Paris jusqu'à la fin du xiiie siècle », dans Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, 1903, p. 41-126.
9. Sur ces derniers, voir May Vieillard-Troïekouroff, « Les zodiaques parisiens sculptés d'après Le Gentil de la Galaisière, astronome du xviiie siècle », dans Mémoires de la Société nationale des antiquaires de France, t. IV, 1968, p. 161-194.
10. Ces éléments sculptés ont été étudiés par Cécile Giteau : Cécile Giteau, « Les sculptures de l'abbaye Sainte-Geneviève de Paris. Moyen Âge », dans Paris, Île de France, t. XII, 1961, p. 7-55.
11. Francis Salet, « Les sculptures de Sainte-Geneviève de Paris », dans Bulletin monumental, t. 121, 1962, p. 395-396. Voir aussi May Vieillard-Troïekouroff, « L'église Sainte-Geneviève de Paris au temps d'Abélard », dans Colloques internationaux du Centre national de la recherche scientifique, t. 546, 1975, p. 745-761.
12. Xavier Dectot, « Saint-Aignan », dans Alain Erlande-Brandenburg, Jean-Michel Leniaud, François Loyer et Christian Michel, éd., Autour de Notre-Dame, Paris, 2003.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016