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Ce n’est évidemment pas le lieu ici pour refaire toute l’histoire de la Sainte-Chapelle1, mais il n’en est pas moins nécessaire d’en rappeler les grandes étapes, bien connues par ailleurs. L’histoire commence en 1204, lorsque la ive croisade se détourne de sa destination première et conquiert Constantinople. La chute de la capitale de l’empire d’Orient entraîne la création d’un Empire latin autour de Constantinople. Outre les difficultés connues par l’ensemble des États latins d’Orient, ce dernier doit en outre faire face à un Empire grec qui se maintient en grande Grèce. Pressé de toute part, l’Empire latin est confronté à de graves difficultés financières, et, en 1237, Baudoin II dépose en gage à Venise la Couronne d’épines, puis, de passage à Paris, négocie avec Louis IX la vente des principales reliques de la Passion. Le futur Saint Louis s’en porte acquéreur et, en 1239, lève également (pour la somme colossale à l’époque de 135 000 livres), les gages qui portaient sur la Couronne d’épines. L’entrée de cette relique dans la capitale, où elle est déposée au Palais, dans la chapelle Saint-Nicolas, le 18 août 1239, fait l’objet d’une grande cérémonie publique sur tout le trajet depuis Saint-Denis. En 1241, un nouvel ensemble de reliques, parmi lesquelles la Vraie Croix, vient rejoindre cette première cession.
C’est probablement à ce moment-là que Louis IX décida de transformer profondément la chapelle palatine et de créer un collège de chanoines destiné à la garde des reliques2. À qui confia-t-il le chantier ? C’est là l’une des plus anciennes et des plus obsédantes questions de l’histoire de l’art médiéval. Une ancienne tradition, qui remonte à Germain Brice3, l’attribue à Pierre de Montreuil. Même si ce nom ressurgit régulièrement, il est évident, quelle que soit la peine que l’on puisse avoir à retirer ce chef-d’œuvre au magister lathomorum, que l’on ne peut lui en attribuer la paternité, tant l’écriture de l’espace est ici différente de ce qu’il a pu montrer dans les deux chantiers qui lui sont attribués avec certitude, les bâtiments monastiques de Saint-Germain-des-Prés et le bras sud du transept de Notre-Dame de Paris. Robert Branner a aussi avancé les noms de Robert de Luzarches ou de Thomas de Cormont4, tous deux architectes de la chapelle de la Vierge de la cathédrale d’Amiens, mais là encore, comme l’a noté Alain Erlande-Brandenburg5, l’écriture de l’espace est par trop différente. Les dates mêmes du chantier restent encore aujourd’hui contestées. S’il est évident qu’il ne fut pas commencé avant 1239, il semble en fait probable qu’il n’était toujours pas commencé avant 1241, et même avant 1243, date à laquelle le roi obtint du pape l’autorisation de constituer sa chapelle personnelle6. Le chantier était-il achevé lors de la consécration de 1248 ? Dans la suite de Gébelin7, nombre d’auteurs ont supposé qu’il était impossible qu’un chantier médiéval ait été réalisé à une telle vitesse. Pourtant, comme l’avait déjà montré Francis Salet8, il est peu probable que Louis IX, dont on sait par son procès en canonisation l’importance des fonds qu’il consacra à la construction, ait fait consacrer un bâtiment inachevé. La question étant particulièrement essentielle pour les apôtres, nous y reviendrons en temps utile.
C’est en fait un gigantesque reliquaire que Louis IX fit élever au centre de son palais parisien, communiquant directement avec le logis royal par une galerie couverte. Extérieurement, il ne se contentait pas de dominer le Palais. Pendant tout le Moyen Âge et au-delà, c’est, après Notre-Dame, le plus haut bâtiment de la ville, et le voyageur, de quelque direction qu’il arrivât à Paris, voyait de loin les tours de la cathédrale et la flèche de la Sainte-Chapelle. Dans la tradition des chapelles palatines, c’est un édifice double. Une chapelle basse, destinée avant tout aux personnels du Palais, d’une construction puissante et particulièrement ingénieuse, supporte une chapelle haute que la conjonction d’une stéréotomie parfaitement maîtrisée et d’un usage savant du métal a transformée en une gigantesque cage de verre : les deux édifices ont évidemment la même longueur, 33 m, et la même largeur, 10,7 m (celle de la cathédrale de Laon), mais alors que la chapelle basse culmine à 6,6 m, la chapelle haute atteint 20,5 m de hauteur sous voûte (autant que la cathédrale de Noyon), des dimensions qui lui permettent de rivaliser, en élévation, avec les plus hautes cathédrales. Le plan est très simple : la chapelle haute est un vaisseau unique de six travées terminé par un chevet à sept pans.
De façon provocatrice, Jean-Michel Leniaud intitulait le premier chapitre de l’ouvrage qu’il a cosigné avec Françoise Perrot9 « Un monument du xixe siècle ». En effet, pour comprendre le monument actuel, il faut nécessairement prendre en compte les restaurations du xixe siècle. Après les désastreux chantiers du premier tiers du siècle, ceux de Godde à Saint-Germain-des-Prés et de Debret à Saint-Denis, c’est, avec Vézelay et avant Notre-Dame de Paris, l’un des chantiers expérimentaux d’une nouvelle approche de la restauration. Mené par Félix Duban, assisté de Jean-Baptiste Lassus, il s’ouvrit en 1836. Les travaux s’étalèrent sur vingt-sept ans, repris par le seul Lassus en 1857, puis, après la mort de ce dernier, par Boeswillwald. Ces travaux, outre une reprise générale de la maçonnerie et une reconstruction de la flèche, touchèrent également le décor intérieur. Duban rassembla à la Sainte-Chapelle les éléments qui en avaient été dispersés, réintégra ceux qui lui paraissaient pouvoir l’être, et déposa le reste. C’est grâce à ces travaux que le musée de Cluny s’est enrichi d’œuvres provenant de la Sainte-Chapelle, les apôtres et les vitraux bien sûr, mais aussi de nombreux fragments d’architecture, grands meneaux en délit au riche décor floral ou éléments de balustrade.
Décor architectural ; Décor intérieur ; Œuvres écartées
Deux fragments de main courante
1. Sur l’histoire de la Sainte-Chapelle, voir en dernier lieu, et dans l’attente de la publication de la thèse de Jean-Michel Leniaud et Françoise Perrot, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991 et Stephan Gasser, « L'architecture de la Sainte-Chapelle. État de la question concernant sa datation, son maître d'œuvre et sa place dans l'histoire de l'architecture »,dans Christine Hediger, éd., La Sainte-Chapelle de Paris, royaume de France ou Jérusalem céleste, Turnhout, 2007, p. 157-180.
2. Notre connaissance de la conception de la Sainte-Chapelle et de son fonctionnement a été profondément renouvelée par la thèse de Meredith Cohen, soutenue à Columbia en 2005.
3. Germain Brice, Description de Paris, Paris, 1698.
4. Robert Branner, « The Grande Châsse of the Sainte-Chapelle », Gazette des beaux-arts, 1224:p.5-18, janvier 1971.
5. Alain Erlande-Brandenburg, « Les apôtres de la Sainte-Chapelle à Paris », dans Geneviève Bresc-Bautier, Françoise Baron et Pierre-Yves Le Pogam, éd., La Sculpture en Occident. Études offertes à Jean-René Gaborit, Paris, 2007, p. 31, note 10.
6.Xavier de La Selle, Le Service des âmes à la Cour. Confesseurs et aumôniers des rois de France du xiiie au xve siècle, Paris, 1995, p. 31-42.
7. François Gébelin, La Sainte-Chapelle et la Conciergerie, Paris, 1931.
8. Francis Salet, « Les statues d'apôtres de la Sainte-Chapelle conservées au musée de Cluny », Bulletin monumental, t. 109 (2), 1951, p. 134-156.
9. Jean-Michel Leniaud et Françoise Perrot, La Sainte-Chapelle, Paris, 1991. Sur ce sujet, voir aussi Meredith Cohen, « La Sainte-Chapelle du Moyen Âge à la lumière des archives de la restauration : problèmes et solutions », dans Christine Hediger, éd., La Sainte-Chapelle de Paris, royaume de France ou Jérusalem céleste, Turnhout, 2007, p. 211-228.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016