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Le 25 avril 1215, dans un château situé près d’un ancien monastère transformé, comme nombre d’autres, en collégiale régulière au début du xiie siècle, Blanche de Castille donna naissance à son second fils, Louis, qui devait, onze ans plus tard, monter sur le trône de France1. Le baptême eut lieu peu après dans la collégiale Notre-Dame, renforçant le lien entre le jeune prince et la ville. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, dès sa canonisation acquise le 11 août 1297, son petit-fils Philippe IV le Bel ait choisi Poissy pour y ériger un monastère en sa mémoire, à proximité immédiate de la collégiale. Le bâtiment se situait, semble-t-il, au-delà de l’enceinte, sur un vaste terrain libre qui se trouvait à la fois près de la ville, du château et de la Seine. Il s’agissait bien entendu également de glorifier la dynastie capétienne et la monarchie française, le prestige du nouveau saint rejaillissant sur l’institution dans son ensemble.
Il est difficile de savoir à quand remonte le choix de l’emplacement, mais on constate qu’il devait être bien arrêté en août, puisque les travaux commencent en novembre 12972. Ils se déroulent très rapidement : en 1304, les religieuses font leur entrée dans le monastère ; en juillet, Philippe IV le Bel promulgue sa charte de fondation ; l’église est alors quasiment achevée (elle ne le sera véritablement qu’en 1331), y compris pour le décor intérieur. La courte période qui s’étend de 1297 à 1304 semble bien être à la fois celle de la conception et de l’essentiel de l’exécution du projet royal. En mai 1298, le roi demanda au maître général des dominicains, dont l’ordre avait joué un rôle essentiel dans la canonisation de Saint Louis3, de lui envoyer des religieuses pour peupler sa priorale. Pour des raisons inconnues, l’église ne fut pas orientée selon l’usage, mais tournée vers le sud. Bien qu’elle ait été entièrement détruite après sa vente comme bien national en 1792, on peut la connaître grâce à de nombreux dessins du fonds Robert de Cotte, effectués après l’incendie de 16954. Proche de celui de Royaumont, le plan de l’église comprenait une nef à trois vaisseaux de huit travées, un transept légèrement débordant et un chœur à déambulatoire entouré de sept chapelles rayonnantes pentagonales. Ses dimensions étaient imposantes : 82,50 m de long pour 30 m de large dans la nef et 40 m au niveau du transept. En élévation, seul l’aspect de l’extérieur, à la composition claire et élégante, est connu : les contreforts rythmaient vigoureusement des travées où les baies des collatéraux, surmontées d’un haut gâble, semblaient répondre presque symétriquement aux baies des parties hautes, elles aussi à deux lancettes trilobées sommées d’un quadrilobe.
Plus que l’architecture, le décor intérieur de l’église montre la place particulière que lui attribuait Philippe IV le Bel. Dans le mur du fond du bras est du transept étaient ménagées six niches où prenaient place, du nord au sud, selon leur âge, six des enfants de Saint Louis : Louis, Philippe III le Hardi, Jean-Tristan, Isabelle, Pierre d’Alençon et Robert de Clermont. On ne peut que s’interroger sur la raison de l’absence des six autres enfants du roi5, même si l’hypothèse d’une seconde rangée dans le bras ouest ne peut être écartée6. Au centre de l’église, de part et d’autre du jubé des religieuses, les deux statues de Saint Louis et de Marguerite de Provence, placées dans le transept, venaient compléter cette glorification de la famille royale, dans l’espace réservé aux fidèles dans l’ensemble prioral.
Un second ensemble sculpté, dont l’emplacement et la fonction précise restent inexpliqués, venait s’ajouter à la famille royale. Il s’agit de sept anges jouant d’instruments de musique ou portant des instruments de la Passion, aujourd’hui partagés entre le musée du Louvre7 et le musée de Cluny (Cl. 18762, Cl. 23292 et Cl. 23441). Ceux-ci soulèvent plusieurs questions, et en premier lieu, celle de leur provenance. On ne peut retenir l’hypothèse ancienne qui les place sur le baldaquin de l’autel situé devant le jubé des religieuses8. On hésite plutôt entre une disposition – soit sur le jubé, mêlant une représentation iconographique du Jugement dernier et de la Passion sur le modèle de celle qui se trouvait au revers du bras sud du transept de Notre-Dame de Paris, – soit autour de l’autel majeur, où la double iconographie de ces anges pourrait aussi trouver sa justification. En second lieu, se pose la question, plus complexe encore, de l’authenticité des pièces. On a, depuis longtemps, souligné la différence de style entre les quatre anges du Louvre, raides, au traitement systématique, aux visages durs, presque caricaturaux, et ceux du musée de Cluny, beaucoup plus souples, doux et élégants, au point que l’on a parfois mis en doute l’authenticité de ceux du Louvre. Une comparaison attentive des pièces montre certaines traces d’outils communes aux deux groupes, mais beaucoup plus visibles et franches sur celles du Louvre. Si d’aucuns ont attribué cette différence à la hâte d’une exécution qui aurait laissé certains anges inachevés ou presque9, une autre hypothèse semble bien plus vraisemblable. L’église, frappée par la foudre en 1695, subit un lourd incendie qui entraîna sa restauration par Robert de Cotte et Jules Hardouin-Mansart, dont les dessins montrent le souci de respecter, dans l’élévation, l’esprit de l’architecture gothique. On peut se demander si les anges n’avaient pas été largement touchés par cet incendie : si tel a bien été le cas, trois des anges du Louvre au moins (M.L. 112, M.L. 113 et M.L. 115) pourraient être attribués au ciseau de sculpteurs travaillant pour Robert de Cotte et Jules Hardouin-Mansart. Quant aux trois anges de Cluny, ils furent probablement légèrement restaurés mais maintenus en place après cet incendie, ce qui expliquerait la présence sporadique des traces d’outils utilisés pour la réalisation des anges du Louvre. Pour le dernier ange du Louvre (M.L. 114), ce pourrait être une recréation complète, mais il paraît plus vraisemblable qu’il s’agit d’un ange original, gravement endommagé en 1695 et largement retaillé par la suite.
Ange portant la Couronne d’épines et les Clous
1. Sur la priorale Saint-Louis de Poissy, la monographie de référence reste Alain Erlande-Brandenburg, « La priorale Saint-Louis de Poissy », Bulletin monumental, t. 129, 1971, p. 85-112.
2. Robert Fawtier, Comptes royaux (1285-1314), Documents financiers, vol. 1, Paris, 1953, t. I, p. 160, cité par Erlande-Brandenburg, « La priorale Saint-Louis de Poissy », Bulletin monumental, t. 129, 1971, p. 91.
3. Erlande-Brandenburg, « La priorale Saint-Louis de Poissy », Bulletin monumental, t. 129, 1971, p. 94.
4. Pierre Marcel, Inventaire des papiers manuscrits du cabinet Robert de Cotte, premier architecte du Roi (1656-1735) et de Jules-Robert de Cotte (1683-1767) conservés à la Bibliothèque nationale, Paris, 1906, nos 287-317.
5. Erlande-Brandenburg, « La priorale Saint-Louis de Poissy », Bulletin monumental, t. 129, 1971, p. 103.
6. Cette hypothèse a été avancée par Béatrice de Chancel-Bardelot et Jean-René Gaborit dans L'Art au temps des rois maudits. Philippe le Bel et ses fils, 1285-1328, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1998, p. 87. Il serait surprenant cependant que cette seconde série ait échappé tant aux descriptions de l’époque révolutionnaire qu’aux dessinateurs de Gaignières.
7. Musée du Louvre, département des Sculptures, ML 112, 113, 114 et 115, Françoise Baron, Musée du Louvre, département des sculptures du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes. Sculpture française, t. I, Moyen Âge, Paris, 1996, p. 101.
8. Erlande-Brandenburg, « La priorale Saint-Louis de Poissy », Bulletin monumental, t. 129, 1971, p. 109. Les anges que l’on voit à cet emplacement sur les dessins du fonds Robert de Cotte sont par trop différents.
9. Telle est l’opinion de Béatrice de Chancel-Bardelot et Jean-René Gaborit dans Paris, 1998, p. 91.
Xavier Dectot
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2011 ; mise à jour : mai 2016